Histoire de la Délégation archéologique française en Afghanistan

C’est en 1922 que fut créée la Délégation archéologique français en Afghanistan afin de répondre au souhait du roi Amanullah de voir la France aider son pays à étudier, valoriser et protéger son patrimoine culturel.

La fondation

Alfred Foucher (1865-1952), qui fut choisi pour « ouvrir » la DAFA et entreprendre les premières fouilles officielles, était un spécialiste du bouddhisme. Malgré une expérience de terrain limitée, il entreprit d’inaugurer les travaux de la Délégation en explorant le site de Balkh dans le Nord de l’Afghanistan. Balkh, l’antique Bactres, était, pour les spécialistes de cette zone, un nom mythique laissant présager des découvertes au moins aussi importantes que celles faites, par les archéologues anglais et allemand des civilisations minoennes ou mycéniennes en Crète et en Grèce. 18 mois de fouille à Bactres n’aboutirent cependant qu’au jugement désabusé qu’émis Alferd Foucher : aucune réalité matérielle ne venait étayer le mythe, qui n’était donc qu’un mirage.

Pourtant, le bilan des travaux d’Alferd Foucher était loin d’être négatif et s’il ne répondait pas à ses attentes il montrait toutefois qu’il était possible de mettre en place une vraie politique de recherche archéologique en Afghanistan. Les contacts avaient été pris, les chercheurs français étaient désormais reconnus comme les références en matière d’archéologie afghane et leurs travaux devaient en apporter la démonstration. À Hadda, à proximité de Jallalabad dans l’Est du pays, Jules Barthoux (1881-1965) entrepris d’explorer un immense complexe constitué d’une centaine de monastères bouddhiques. Ainsi, de 1925 à 1928, plusieurs monastères furent fouillés et une très abondante moisson de sculptures en stuc et en pierre fut assemblée.

Joseph Hackin : l’archéologie comme un sport

C’est à Joseph Hackin (1886-1941), l'un des premiers collaborateurs d’Alfred Foucher, que l’on doit d’avoir construit en France aussi bien qu’en Afghanistan la « personnalité » de la DAFA. Dès la fin des années 1920, il entreprit de faire les premières études scientifiques des monuments de la vallée de Bamiyan. À partir de 1936, c’est au site de Bégram à quelques dizaines de kilomètres au Nord de Kaboul qu’il décida de concentrer ses efforts. Jusqu’en 1939, assisté de son épouse Ria, il explora le site de ce qui était, peut-être, une fondation d’Alexandre le Grand : l’Alexandrie du Caucase. C’est sur ce site que son équipe devait découvrir ce que l’on appelle désormais : « le trésor de Bégram ».

Dans deux pièces d’une des constructions dégagées par les fouilleurs se trouvaient des milliers d’objets, datables de la fin du Ier siècle ou du IIe siècle apr. J.-C., venant de zones géographiques aussi éloignées que la Grèce continentale, le Levant, la Chine et l’Inde. Ivoires sculptés, laques, verreries, vaisselle en bronze, etc. avaient été réunis en cet endroit comme pour illustrer aussi bien l’ampleur du réseau commercial dans lequel était intégré l’Afghanistan antique que la richesse de ses souverains.

Daniel Schlumberger, aux frontières du Monde classique

La fin tragique et héroïque de Joseph et de Ria Hackin en 1941 et la seconde guerre mondiale ouvrent une deuxième période dans l’histoire de la DAFA. Daniel Schlumberger (1904-1972), qui en 1944 repris la direction de la Délégation, était un archéologue de terrain  formé par Henri Seyrig en Syrie et au Liban. Il choisit de reprendre les travaux à Bactres en 1947 pour aboutir en 1954 à un constat de demi-echec…Les résultats attendus n’étaient pas au rendez-vous mais selon lui cela était dû essentiellement à l’insuffisance de ses moyens. L’attention de la DAFA se porta donc sur d’autres sites et d’autres périodes.  

C’est ainsi que fut entreprise l’exploration du site islamique de Lashkari Bazar dans le Helmand et celle du site de l’Âge du bronze de Mundigak dans la province de Kandahar dont Jean-Marie Casal (1905-1977) assura la direction. Avec la fouille de Sukh Kotal dans la province de Baghlan au Nord de l’Hindou Kouch, Daniel Schlumberger revenait vers des périodes plus classiques. La DAFA put ainsi dégager un vaste sanctuaire dynastique, construit et occupé pendant les premiers siècles apr. J.-C.

Paul Bernard : AÏ Khanoum

Mais ce sont les débuts des travaux sur le site de AÏ Khanoum en 1964 qui devaient marquer durablement l’histoire de la DAFA. Le site avait déjà été visité par Jules Barthoux en 1925 qui en avait apprécié l’importance mais n’avait pu estimer les périodes auxquelles il avait été fréquenté. Selon la légende c’est le roi d’Afghanistan Zaher Shah, lui-même, qui y découvrit au cours d’une partie de chasse des blocs sculptés « d’allure grecque ». Daniel Schlumberger en fut informé et une première campagne de fouille débuta en 1964. À partir de cette date et jusqu’en 1978 la DAFA dirigée maintenant par Paul Bernard (1929-2015) s’attachera à dégager ce qui, jusqu’çà ce jour, est le meilleur exemple d’une fondation urbaine héllenistique en Afghanistan.

À partir de 1975, toutefois, sous l’impulsion de Jean-Claude Gardin la DAFA s’attacha à élargir, de nouveau, son champ d’expertise. On lui doit ainsi la reprise du projet de carte archéoloqique qui aboutit, dans un premier temps, à une vaste prospection autour d’Aï Khanoum, à la découverte du site protohistorique de Shortugaï, fouillé par Henri-Paul Francfort et, en 1982, par la publication d’un inventaire des sites archéologiques d’Afghanistan par Jean-Claude Gardin et Warwick Ball. En 1982, Jean-Claude Gardin directeur de la DAFA depuis 1979 était contraint de suspendre ses activités, une partie de ses chercheurs étant relocalisée à New Delhi en Inde.

La période qui va de 1982 à 2002 est une des plus sombres de l’histoire de l’archéologie afghane. La guerre civile dans laquelle s’enfonce l’Afghanistan ayant pour conséquence immédiate un pillage systématique des sites archéologiques, à commencer par ceux qui avaient été fouillés par les archéologues français ou étrangers. Les objets archéologiques alimentent alors un trafic international qui semble avoir touché la quasi-totalité des pays, à commencer par les pays les plus riches de la planète.

2003, la renaissance

L’intervention internationale à partir de 2001 a ouvert la possibilité d’une reprise de l’aide française à l’archéologie afghane. Dès 2002 des missions exploratoires étaient organisées et en 2003 la DAFA officiellement réouverte à Kaboul. C’est à Roland Besenval  (1947-2014) que l’on doit cette renaissance et à l’appui sans faille du Directeur du Musée Guimet Jean-François Jarrige (1940-2014).

L’histoire étant un perpétuel recomencement, c’est vers Balkh et son oasis que les efforts de la Délégation renaissante se portèrent, permettant ainsi d’apporter des premières réponses aux questions posées par Alfred Foucher et Daniel Schlumberger. À Balkh comme à AÏ Khanoum, l’héllénisme avait laissé des traces monumentales et le « mirage » bactrien se dissipait pour révéler un site d’une importance considérable avec des traces d’occupation antérieures à l’expédition d’Alexandre le Grand, couvrant tout le début du Ier millénaire av. J.-C. Autour de la cité antique les prospections révélairent en outre des centaines de sites  datables de la Préhistoire aux périodes islamiques, dont celui de Cheshm-e Shafa à une vingtaine de kilomètres au Sud de Balkh.

Depuis sa réouverture jusqu’à maintenant la DAFA s’est surtout efforcée de venir en aide aux archéologues afghans et ce, dans un contexte dominé par une forte insécurité, rendant difficile les travaux de terrain. Cette aide s’est manifestée directement sur des opérations de fouilles comme celle de Mès Ainak au Sud de Kaboul,  de la mosquée d’Hadji Piadah près de Balkh ou du site de Shahr-i Golgolah à Bamiyan et, par l’aide à la formation de jeunes afghans directement en Afghanistan ou en France.

À quelque mois du centenaire de sa création dans un contexte rendu encore plus difficile par la crise sanitaire frappant durement le monde entier et particulièrement l’Afghanistan, la DAFA est toujours présente dans le pays, aux côtés de nos partenaires afghans et active pour explorer, protéger et faire connaître le patrimoine de ce pays.  

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